国際PSYCAUSE学会(京都)の開催報告―フランス語版の転載―(2)10月19日午後の部―
2014/11/10
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Journal du congrès de Kyoto : carnet N°4. Après midi de congrès du 19 octobre 2014
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La première partie de l’après midi est consacrée à la projection d’un film documentaire sur l’Hôpital Sansei en présence du réalisateur, Mr No Nanoka venu de Tokyo. Ce film en japonais sous titré en anglais et traduit par notre interprète, est intitulé : « Morita Therapy to live ». Il est introduit par le Pr Shigeyoshi Okamoto qui nous brosse le panorama de la Thérapie de Morita au Japon aujourd’hui : 300 médecins pratiquent la Thérapie de Morita au Japon. Peu réfèrent leurs soins à la philosophie du Zen. Les autres ont pris de la distance avec cette philosophie qui est à la base de cette thérapie et ne savent pas ce qui est pratiqué à l’hôpital Sansei qui est un élément attesté dans l’historique de cette thérapie. Le film fait découvrir un lieu de pratique de la Thérapie de Morita qui demeure un mystère pour un certain nombre de praticiens de cette dernière. Le scénario du film est construit sur l’hospitalisation à Sansei d’un garçon qui a une phobie d’autrui. Après plus de deux heures de projection captivantes, nous dialoguons avec le réalisateur. Ce film met en évidence une thérapie qui permet un lâcher prise de la jouissance sans changer la problématique névrotique sous-jascente qui est mise à distance, en moins de trois semaines. Le patient, libéré d’une pathologie invalidante, peut ensuite valoriser pleinement son talent artistique.
Après une courte pause, nous avons deux communications qui toutes les deux concernent l’enfance et l’adolescence, sous deux regards culturels différents : canadien puis japonais. Le premier intervenant est le Dr André Gagnon, pédopsychiatre à l’Hôpital Pierre Janet à Gatineau (au Québec au nord d’Ottawa). Sa communication est intitulée : « Formation et confusion de l’identité culturelle et spirituelle ».
Le Dr André Gagnon commence par s’appliquer à lui même le thème de son exposé, nous présentant son origine, ses études et sa famille. Il poursuit avec une citation d’« Alice au pays des merveilles » qui dialogue avec la chenille, pour nous sensibiliser à la dimension culturelle de l’identité :
« « Qui êtes-vous ? » dit la chenille. Ce n’était pas là une manière encourageante d’entamer la conversation. Alice répondit un peu confuse : « Je – je le sais à peine moi-même quant à présent. Je sais bien ce que j’étais en me levant ce matin, mais je crois avoir changé plusieurs fois depuis. »
« Qu’entendez-vous par là ? » dit la chenille d’un ton sévère. « Expliquez-vous. »
« Je crains bien de ne pouvoir pas m’expliquer. » dit Alice, « car, voyez-vous, je ne suis plus moi-même. »
« Je ne vois pas du tout. » répondit la chenille.
« J’ai bien peur de ne pouvoir pas dire les choses plus clairement. » répliqua Alice fort poliment ; « car d’abord je n’y comprends rien moi-même. Grandir et rapetisser si souvent en un seul jour, cela embrouille un peu les idées. »
« Pas du tout. » dit la chenille.
« Peut-être ne vous en êtes vous pas encore aperçu. » dit Alice. « Mais quand vous deviendrez chrysalide, car c’est ce qui vous arrivera, sachez le bien, et ensuite papillon, je crois bien que vous vous sentirez un peu drôle, qu’en dites-vous ? »
« Pas du tout. » dit la chenille.
« Vos sensations sont peut-être différentes des miennes. » dit Alice.
« À vous ! » dit la chenille d’un ton de mépris. « Qui êtes vous ? »
Alice, un peu irritée du parler bref de la chenille, se redressa de toute sa hauteur et répondit bien gravement : « il me semble que vous devriez d’abord me dire qui vous êtes vous-même. »
« Pourquoi ? » dit la chenille. »
Le Dr André Gagnon remarque qu’il y a lieu de s’interroger à propos de ce dialogue, sur la question des compétences culturelles.
Il poursuit sur une mise en cause des schémas simplistes de l’identité en termes d’évolution ou d’arbre généalogique. Il évoque la question de l’adaptation historique de l’enfant : l’âge de raison varie selon les époques, l’enfant peut être objet de la loi de façon prolongée dans le système féodal, bousculé dans une dialectique de lutte des classes ou être sujet de la loi en Suède. Les valeurs changent au fil du temps. Le Dr André Gagnon s’arrête alors sur la définition de l’identité. C’est un nom féminin d’origine latine « identitas », « le même ». Il définit le rapport que présentent entre eux deux ou plusieurs êtres ou choses qui ont une similitude parfaite : par exemple l’identité de goûts entre personnes. Ce mot définit aussi le caractère de deux êtres ou choses qui ne sont que deux aspects divers d’une réalité unique, qui ne constituent qu’un seul et même être : par exemple reconnaître l’identité de deux astres, homme et femme. Ce mot définit aussi le caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe, qui fait son individualité, sa singularité : par exemple une personne cherche son identité nationale. L’identité est alors l’ensemble des données de fait et de droit qui permettent d’individualiser quelqu’un (date et lieu de naissance, nom, prénom, filiation, etc…) On peut ainsi par exemple rechercher l’identité d’un noyé. En logique et en philosophie, l’identité est la caractéristique de deux ou de plusieurs objets de pensée, qui tout en étant distincts par le mode de désignation, par une détermination spatio-temporelle quelconque, présentent exactement les mêmes propriétés. Le communicant rappelle le principe d’identité qui affirme qu’une chose est entièrement égale et exclusivement égale à elle même (A=A). En psychologie, il est question d’identité sociale, c’est à dire la conviction d’un individu d’appartenir à un groupe social, qui repose sur le sentiment d’une communauté géographique, linguistique, culturelle, et qui entraine certains comportements spécifiques. L’identité de l’individu est en psychologie sociale, la reconnaissance de ce qu’il est, par lui même ou par les autres. « La notion d’identité est au croisement de la sociologie et de la psychologie, mais intéresse aussi la biologie, la philosophie et la géographie. »
L’identité se joue en terme de développement du soi, lequel, selon Daniel Stern, se conjugue en soi émergeant, soi noyau, soi subjectif, soi verbal et soi narratif qui intègre le culturel et le spirituel. Soi qui se constitue en fonction de l’attachement sécure, insécure ou désorganisé. Selon Bowlby, l’attachement est spécifique à chaque dyade enfant-parent, sachant que 80% des enfants ont un lien positif avec un parent, que 60% ont un lien positif avec les deux parents. Cet attachement est l’un des meilleurs prédicteurs de Santé Mentale. Le Dr André Gagnon passe en revue les stades évolutifs du développement psycho-social d’Erik Erikson, le développement psychologique selon Jean Piaget, le développement moral selon Lawrence Kohlberg et s’attarde sur l’approche de D.W. Winnicott. Ce dernier articule la problématique de l’adolescent selon deux item : « Être bien seul, Être bien avec les autres. » La deuxième phase de Séparation-Individuation selon Peter Blos, complète D.W. Winnicott : elle consiste à développer ses propres références et différences, à identifier les limites, à acquérir les habiletés et l’autonomie, à reconnaître ses compétences, à accroitre ses facultés de perception, de mémoire et de cognition.
L’adolescent, poursuit le Dr André Gagnon, est confronté à la question des valeurs. À commencer par les valeurs spirituelles. L’adolescent est dans un monde où cohabitent la domination mercantile et matérialiste, les tensions religieuses extrêmes… ou extrémistes… Il peut verser dans l’anomie, l’angélisme, l’attentisme ou dans l’engagement.
Le Dr André Gagnon synthétise ensuite les données de son exposé selon un « Cycle de vie familial » (schéma de Carter et McGoldrick adapté par André Gagnon), à lire en photos ci-contre. Il part des enjeux pour l’adulte singulier, poursuit avec ceux de la constitution du couple, puis de la famille avec de jeunes enfants, de la famille avec des adolescents, du « lancement » des enfants, et enfin de l’entrée dans le troisième âge. Cette présentation met en évidence l’importance des aspects trans-générationnels. Des frontières inadéquates peuvent s’établir entre parents et enfants : une sur-implication cause d’anxiétés de séparation et de somatisations, une dépression cause de négligence et de failles narcissiques, une fusion cause de toxicomanie, des deuils non résolus causes d’attachement impossible.
Lorsque l’on articule famille, culture et société, on s’aperçoit que le tout est supérieur à la somme des parties. Face à un système sain constitué respectivement des échanges, des renégociations, et d’un leadership juste avec des alliances, on a un système malsain constitué respectivement des tensions/conflits/spirales de problèmes, de la compétition/soumission, et des clivages/rivalités.
Le second intervenant est le Dr Kiyoshi Shiraishi qui est un psychologue japonais lacanien, Chef du Centre des Soins des Enfants dans l’Hopital Psychiatrique Nozoe à Kyushu. Il communique sur le thème : « Les pathologies et les soins des enfants et des adolescents au Japon, du point de vue psychanalytique – Approche psychothérapique et préventive pour le développement de l’enfant du couple schizophrénique » Il nous annonce qu’il va essayer de nous présenter en première partie, ce qui se passe actuellement chez les enfants et les adolescents au Japon.
Les problèmes actuellement rencontrés par le psy des enfants et des adolescents du Japon, nous dit-il, nous conduisent à évoquer obligatoirement un drame tragique à la fin des années 1980 : un père assassinait son fils qui dormait, à l’aide d’une batte de base ball. Le père vivait à ce moment là un enfer dans sa vie quotidienne, à cause de son fils enfermé qui présentait des actes violents au domicile notamment envers sa mère. Dans les années 1990, se pratiquait l’IJIME qui consistait à agresser un (ou une) élève sélectionné à l’école. Ainsi, il y eut beaucoup de victimes tuées ou qui se sont suicidées. Ce phénomène de violences dans l’école existe encore aujourd’hui et devient un véritable problème social. Dans le même temps, il y a des négligences et des maltraitances nourricières, des meurtres de bébés et de petits enfants par les parents. Un autre phénomène est le HIKIKOMORI qui consiste à refuser l’école et à s’enfermer volontairement au domicile sans avoir des contacts socio-familiaux, tout en commettant parfois des actes de violence volontaire envers des membres de la famille. Il n’existe pas de statistique officielle, mais officieusement le ministère de l’éducation nationale estime que le nombre de HIKIKOMORI serait de l’ordre d’un million d’individus voire le double.
La mutation de l’environnement médiatique a produit un phénomène social très inquiétant avec les jeux télévisés, les bandes dessinées, le manga, internet etc. Elle provoque une modification des styles de la communication et de la façon de vivre. Les suicides collectifs, les tentatives de suicide à deux, les ijimes et les adolescentes qui se prostituent auprès des adultes, deviennent une préoccupation. « Ajoutons que la télévision a donné l’information que plus de cent enfants de moins de cinq ans ont payé des jeux électroniques avec une carte de crédit, le plus jeune ayant deux ans ! » Comme, de ce fait, moins d’enfants s’amusent au dehors, de plus en plus présentent des problèmes d’adaptation dans les milieux socio-familiaux-scolaires. Ce sont des enfants qui ont des traits hyper ou hypokinétiques avec des problèmes relationnels et de communication.
Le Japon a subi des crises économiques en raison de l’excès d’investissement des banques dans les années 1990. La conséquence en a été de nombreux licenciements et une réorganisation de l’économie privilégiant l’industrie informatique technologique avec un contrôle des réseaux électroniques. Les inégalités socio-économiques se sont considérablement creusées avec des gens très riches (appelés Kachigumi = celui qui est gagnant) et des gens très pauvres (appelés Makegumi = celui qui est perdant). « La tendance à la déflation continue nous a conduit à la situation d’aujourd’hui. » Sur le plan de l’éducation, les problèmes d’inégalités économiques se traduisent au niveau des résultats scolaires et on assiste à un abaissement général de ces résultats. Le Dr Kiyoshi Shiraishi conclut la première partie de son exposé par ce constat : « le Japon actuel pour les enfants est ce que je viens de vous présenter et les enfants japonais sont vraiment fatigués. »
Kyushu est la plus méridionale des grandes îles qui constituent le Japon (la ville la plus connue y est Nagasaki). Dans l’hôpital psychiatrique Nozoe installé à Fukukoa sur cette île, le Dr Kiyoshi Shiraishi a promu la psychanalyse d’inspiration française (lacanienne) comme outil de référence dans la prise en charge des enfants et des adolescents. Sa communication s’inscrit donc pleinement dans la démarche francophone internationale de Psy Cause. Il acceptera d’ailleurs, le surlendemain, d’entrer dans le comité de rédaction francophone de la revue Psy Cause. Il nous explique, en seconde partie de son exposé, la prise en charge psychanalytique d’un enfant de parents perturbés par la psychose, présentant des symptômes de violence, en maniant les concepts lacaniens et en situant la dynamique thérapeutique dans un travail sur le père imaginaire et le père symbolique.
Cette communication clôt la première journée de congrès. Cette dernière a été entièrement sous le signe de la francophonie, de la rencontre entre les cultures française, francophone nord américaine et japonaise. Nous avons l’honneur d’être les témoins d’un moment historique dans la pratique de la Thérapie de Morita avec la mission de le faire connaître. Nos échanges ont pu présentifier un croisement des modes de pensée avec par exemple l’utilisation en France du Manga comme médiateur thérapeutique ou la place de la psychanalyse lacanienne dans un hôpital du sud du Japon.
Jean Paul Bossuat